De la guerre froide à aujourd'hui

Les francophones depuis la Deuxième Guerre mondiale …

On s'attaque à la question de la langue

On doit surtout retenir qu'au milieu des années 1960, alors qu'on se prépare à une réorganisation de taille, on est prêt à aborder, même imparfaitement, la question des francophones et de leur langue dans les Forces canadiennes. Mais il y a plus. Deux ministres, Paul Hellyer et Léo Cadieux, futur ambassadeur en France, vont se succéder, entre 1964 et 1970, à la tête du ministère. Ils veulent que le sort des francophones change. En outre, pour la première fois, un Canadien français accède au poste militaire suprême. Le général Jean Allard est un héros de la Deuxième Guerre mondiale qui, en 1943, son horizon semblant bouché parmi les cavaliers, est passé de l'arme blindée à l'infanterie. Au milieu des difficultés que l'on imagine, il a réussi à préserver son identité francophone et à faire instruire ses trois enfants en français. En 1985, Allard a publié des mémoires dans lesquelles il consacre de grands extraits aux francophones dans les forces ainsi qu'un chapitre entier à ce qu'il a fait pour renverser le sort plus que centenaire qui leur était réservé.

Entre 1966 et 1969, le général Allard fera de la question francophone un dossier prioritaire. Il avancera sur tous les fronts et fixera de grands objectifs. C'est ainsi que le livre blanc de 1971 - deux ans après son départ - fera état d'une de ses adjonctions, à savoir que les francophones devraient être représentés dans tous les métiers, classifications et grades, en proportion de leur poids démographique au sein de la population canadienne. Durant ses trois ans comme chef de l'état-major, il multipliera les unités de langue française (ULF) dans les trois armées, mais aussi dans les différentes armes de l'armée de terre. Il lancera un programme qui, une fois achevé, permettra aux francophones d'être recrutés et instruits en français avant de servir certaines parties de leur carrière dans leur langue, au sein des ULF.

Ces grandes poussées amorcées, Allard laissera à ses successeurs le soin de poursuivre. La voie qu'il a ouverte a été reprise avec plus ou moins de bonheur par ses successeurs francophones ou anglophones depuis 1969. Une défense pancanadienne exige la participation de tous les citoyens et, surtout, de la minorité importante de francophones qui habitent ce pays. Ceux-ci doivent être traités avec justice et leurs particularités culturelles, ce qui inclut la langue, doivent être reconnues et respectées.

Il serait trop facile de conclure qu'aujourd'hui toutes les anomalies traditionnelles dans les forces ont été effacées. Depuis 1983, les francophones comptent pour environ 27 pour cent dans les forces, ce qui était un des buts fixés par Allard. Cependant, ils restent surreprésentés à la base des grades et sous-représentés à peu près partout ailleurs. De plus, dans certains des emplois militaires, d'où ils avaient été notablement absents jusque dans les années 1960, le déficit n'a pas été comblé, loin de là. Et que dire de l'instruction, où le français a fait des gains impressionnants, entre 1969 et 1972, pour ne plus progresser que très lentement durant quelques années avant de régresser dans certains aspects, au début des années 1980, pour ne reprendre un élan qu'une douzaine d'années plus tard.

Alors que le bilinguisme était l'apanage presque uniquement des francophones, les plans de la fin des années 1960 et du début des années 1970 ont tous fait une place très grande à des cours de langue française aux anglophones. Malheureusement, peu des objectifs établis à cet égard ont été atteints à ce jour.

En somme, beaucoup a été accompli pour reconnaître formellement que la cohésion de la défense nationale passait par une intégration parfaite des francophones dans l'institution militaire. On a échafaudé un cadre d'accueil et de vie en français dans les forces qui sert aussi bien les francophones que les anglophones bilingues. Toutefois, il est évident à tout observateur impartial qu'il reste du chemin à parcourir. Sans certains coups de frein appliqués durant les années 70, la situation actuelle serait encore plus positive qu'elle ne l'est présentement.